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Artisanat, l'Homme

I Au cours des siècles

 

Dans les premiers pas du Bouddhisme

 

Dès les premiers siècles de notre ère, diverses techniques artisanales sont ponctuellement importées de Corée et, déjà les artisans japonais excellent à les appliquer dans des secteurs aussi variés que le textile, la laque, la poterie et le travail du métal. En 552, l’enseignement de Bouddha est introduit au Japon. Shôtoku Taishi, grand prince impérial devenu régent de l’Empire en 593, proclame la nouvelle doctrine religion d’Etat. Les artisans japonais sont priés de se mettre à l’école des maîtres continentaux venus les initier tandis que les moines sont envoyés en ambassade à la cour chinoise des Sui puis des Tang.

En 710, Nara devient la première capitale fixe du Japon. Le rayonnement chinois y est à son à son apogée au fur et  à mesure que s’implante la culture bouddhique. Les sculpteurs, peintres, menuisiers, tisserands, laqueurs ou encore teinturiers décorent les palais et les monastères comme en témoigne les milliers d’objets conservés au Shôsôin de Nara, un grenier en bois de cyprès, véritable reliquaire des arts appliqués de l’époque, édifie aux abords du temple Tôdai-ji. Les principales techniques de base sont déjà présentes et démontrent un degré d’achèvement supérieur.

 

Le raffinement aristocratique

 

En 794, l’empereur Kammu décrète le changement de capitale. Son rêve est de créer une ville idéale capable de rivaliser avec les capitales chinoises. Heian-kyô, « capitale de la Paix et de la Tranquillité » est ainsi tracée en damier, selon le plan Changan. Il s’y développe une culture aristocratique unique caractérisée par l’apparat, le luxe et l’élégance. Les artisans, excellant en techniques sophistiquées venues de chine, sont appelés à la capitale pour répondre tant aux nécessités de la cour qu’aux besoins des fonctionnaires. Selon leurs spécialités, ils sont regroupés à l’est et à l’ouest de l’avenue principale en fonction de deux marchés qui organisent la vie pratique de la capitale et ses relations avec la province. Mais, à la fin du IXe siècle, le Japon se replie sur lui-même et élabore une culture et un art proprement national. Très demandeurs d’objets précieux qui doivent s’harmoniser avec leurs états d’âmes poétique et correspondre au moindre changement de saison, les aristocrates de Heian stimules les artisanats de la teinture, du tissage, des éventails de danse, des instruments de musique et des laques en poudre d’or qui deviennent au cours des siècles  « typiques » du raffinement de la capitale.

 

Vers la fin du XIIe siècle, le pouvoir politique passe dans les mains des clans guerriers de province, inaugurant la longue ère des shôguns, dictateurs militaires dirigeant le pays au nom de l’empereur. Leur gouvernement s’installe à 600km à l’est de la capitale dans la petite ville de Kamakura. La culture va dès lors se polariser sur deux pôles radicalement opposés : l’introspection poétique de l’aristocratie et le réalisme fonctionnel des guerriers. L’artisanat de qualité, qui avait fleuri dans l’ancienne capitale pendant près de quatre siècles, reste la référence, mais retrouve un second souffle en suivant la cour shôgunale. Le début du Moyen âge japonais est également marqué par l’introduction du zen, en 1191 et en 1227, par des moines de retour de Chine. La « religion de Kamakura », imposant ses caractères de discipline et de frugalité face au goût décadent de la cour impériale, est prisée par les guerriers qui trouvent en elle un modèle idéal pour la réalisation de soi et l’acceptation sereine de la mort. De grands temples sont construits à Kamakura et deviennent de véritables centres de culture.

C’est de cette époque que date l’autorisation accordée aux marchands et aux artisans de se grouper en corporations indépendantes de la tutelle de l’aristocratie. Réunies sous la protection des temples et des sanctuaires dans l’enceinte desquels se tiennent des marchés, ces guildes tentent d’obtenir des exemptions d’impôts, des droits d’octroi, et de conserver une sorte de monopole de la fabrication ou de la vente de certains produits. Elles accélèrent le développement des arts appliqués pour le peuple et permettent aux artisans d’accéder à une reconnaissance supérieure.

 

L’artisanat des palais et des châteaux



Au début du XIVe siècle, Takauji, fondateur de la dynastie shôgunale des Ashikaga, rétablit à Kyôto le centre du pouvoir politique ; il installe son gouvernement dans le quartier de Muromachi. Durant les 235 années de l’époque du même nom, les Ashikaga, adeptes fervents du zen, succèdent ainsi aux aristocrates dans leur volonté de pratiquer l’harmonie à chaque instant de la vie quotidienne. Tous les arts y sont adulés avec passion, ce qui mène parfois à une ostentation dénuée de sens et à une délicatesse déshumanisée. Des techniques artisanales parfois artificiellement élaborées, comme la méthode de teinture en points noués appelée tsujigahana, ou très sophistiquées, comme le « tissage chinois » à trames d’or et d’argent, deviennent courantes pour réaliser les vêtements de cour tandis que la métallurgie d’art trouve ses lettres de noblesse dans les accessoires de sabre combinant les dessins précieux et les alliages métalliques rares.

Les premières cérémonies du thé sont célébrées dans ce cadre raffiné. Autrefois réservé au seul service de bouddha, l’art du thé prône la maîtrise du geste et le détachement du zen.

Il stimule les artisanats de la céramique, du bambou, de la laque et du métal qui deviennent des acteurs privilégiés de cette cérémonie inventée pour la paix et l’esprit.

Malheureusement, l’époque Muromachi est aussi une période de grande confusion politique et de guerre civiles. Les marchands prennent avantage des troubles pour devenir puissants et pousser à la création de villes libres, organisant ainsi une sorte de contre-pouvoir comparable à celui des guerriers. Kyôto finit ainsi par être administré par un conseil de marchands. Durant cette période, des groupes de citadins s’organisent en communautés de voisinage et les artisans se regroupent dans des secteurs à vocation unique comme le quartier Nishijin spécialisé dans le tissage des brocarts.

L’époque suivante correspond aux tentatives de pacification du pays, avec plus ou moins de brutalité ou de ruse, sous l’égide de trois chefs de guerre : Oda NobunagaToyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu. Cette culture dite de momoyama, qui ne dure qu’une trentaine d’années, se caractérise par sa magnificence. Le premier  grand chantier de l’époque est de restaurer Kyôto, de reconstruire les temples et d’édifier de nouveaux palais, avec l’assistance d’une multitude d’artisans dont les savoirs touchent à la virtuosité technique, particulièrement dans le travail du bois.

Grâce au développement de la cérémonie du thé dans la société des notables, l’époque Momoyama est l’âge d’or de la céramique. Ce dynamisme créatif est également dû en grande partie aux deux invasions de la Corée lancée par Toyotomi Hideyoshi en 1592 et 1596. De ces expéditions, que l’on appelle ironiquement la « guerre des céramiques », les seules victoires se font dans le domaine de l’artisanat et des sciences. Les techniques élaborées des artisans capturés et déportés au Japon, jointes à la découverte d’argile nouvelle, sont à l’origine du perfectionnement de la céramique japonaise et des premiers pas de la porcelaine.

 

L’artisanat des citadins

 

Dès les premières années du XVIIe siècle, tandis que Kyôto émerge de ses ruines, Edo, l’actuelle Tôkyô, devient le centre actif d’une nouvelle civilisation, celle des shôguns Tokugawa. Leur gouvernement impose deux siècles et demi de paix strictement contrôlée. Les seigneurs, autrefois turbulents, ne rivalisent désormais plus entre eux que par l’étalage de leurs richesses au lieu de s’adonner au sort aléatoire des armes. La puissance politique de certains d’entres eux contribue à la naissance de nombreuses « petites Kyôto » dans des régions jusque-là isolées comme Takayama dans les Alpes japonaises ou Kanazawa sur la mer du Japon. Les villes de château deviennent alors autant de lieux nouveaux pour la création artisanale. De par la volonté shôgunale, le pays est totalement fermé à l’étranger en 1639, hormis un petit comptoir en rade en rade de Nagasaki.

 

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Dans l’impossibilité de renouveler son génie en contact d’autres modes de pensée, et donc de susciter de nouveaux besoins, la culture japonaise est obligée de trouver un nouvel élan créateur dans la seule recherche de la qualité technique, esthétique et affective de ses créations.

Au cours de cette période, les grandes villes, KyôtoOsaka, Edo, affinent leurs caractères propres. Si Kyôto conserve son statut de ville impériale et de modèle dans le domaine de la création artisanale, Edo et Osaka s’imposent comme lieux de naissance d’une vraie culture citadine. C’est désormais le peuple des villes qui, loin du faste des palais, des temples et des châteaux, se révèle comme le promoteur du nouveau mode de vie et stimule le petit artisanat de la vie quotidienne. Pourtant, la société d’Edo est rigide et les relations entre les gens sévèrement codifiées dans un système hiérarchisé selon quatre classes, celles des guerriers, des fermiers, des artisans, des marchands. La vie de chacune est réglée par des devoirs et des interdis précis. 

Vers la fin du XVIIe siècle, les riches marchands, considéré pourtant comme appartenant a la classe sociale la plus basse, inférieure même à celle des paysans, finissent par détenir de fait le vrai pouvoir dans les villes, mais restent néanmoins toujours soumis à l’autorité shôgunale. En dépit d'interdits rigides, ce sont eux désormais qui patronnent les arts pour leurs besoins personnels. Les artisans commencent également leur ascension sociale et, plus tard, les plus habiles obtiennent un statut presque équivalent à celui d'un samouraï de basse extraction ( génération peu renommée dans le statut social ). Des associations d'artisans remplacent presque partout les anciennes guilde abolies par les seigneurs féodaux. Leurs principaux clients, les notables des villes, leur permettent d’expérimenter de nouvelles techniques et d'en parfaire jusqu'à ce que le moindre objet soit assimilable à une création artistique, pour détourner les lois présomptueuses édictée par le gouvernement. A cette époque, le petit peuple bénéficie lui aussi des avancées techniques. Le coton remplace de plus en plus souvent le chanvre dans les confections de ses vêtements. Les poteries vernissées, les porcelaines décorées, les laques et les petits meubles de lois deviennent également accessible.

L'espace étant précieux dans les maisons, sa gestions reçoit une attention de tout les instants. Ainsi le stockage du mobilier et des objets est-il très important. Les artisans définissent alors une gamme d'objets ergonomiques basés sur des notions de compacité, de pliage, d'empilement, de flexibilité, d'enroulement, d'enroulement et de miniaturisation. L'espace architectural lui-même répond à ce besoin d'adaptation polyvalent, sans mobilier fixe, il se transforme en fonction des objets qu'on y introduit ponctuellement. Grâce à la paix, les commerçants, les colporteurs, mais aussi les pèlerins et les poètes, peuvent circuler en hors de leur province. Pour faciliter ces déplacements, les artisans réinventent certains accessoires de la vie quotidienne afin de les rendre plus légers, plus compacts et pliants comme les objets à base de papier et bambou. Ils traduisent également en laque beaucoup d'objets autrefois en métal ou en céramique et en miniaturisent un certains nombre pour les accrocher à la ceinture du kimono à l'aide de netsuke, comme le nécessaire à fumer, la boîte à médicaments où le porte pinceau.

 

A l'école de l'Occident 

 

Quand le commodore américain Perry pointe ses canons sur la baie d'Edo en juillet 1853 pour exiger l'ouverture des ports japonais au commerce international, le pays est prêt pour le changement. En 1868, le jeune empereur Meiji reprend en main les destinées du Japon, s'installe à Edo, qui devient Tokyo, ouvre le pays à l'étranger et fait éclater le système de classes des Tokugawa. Sous son "gouvernement éclairé", le Japon va tenter d'allier la science occidentale et l'esprit japonais.

Les industries japonaises émergent d'abord dans les villes mais, comme le marché augmente, les marchands vont recruter des artisans dans la banlieue puis donner du travail aux fermiers des villages environnants lors de la saison morte ( automne ) Avec la folie du modernisme et l'utilisation du moteur électrique, de nouveaux métiers apparaissent, d'autres disparaissent. La modernisation des techniques de productions s'accélère dans les domaines de la soie, de a porcelaine et d la laque. Des artisans japonais sont envoyés à l'étranger rechercher une excellence qui semble n'être alors qu'occidentale. empereur meiji.jpg
Tandis que l'empereur Meiji s'habille à la napoléon III et que l'impératrice porte robe à crinoline et ombrelle en dentelle, on importe des métiers Jacquard, des colorants chimiques et on établit des filatures industrielles, des fonderies, des chantiers naval. Cet entichement brutal pour l'Occident pousse malheureusement des japonais "modernes" à renier systématiquement leur propre culture traditionnelle. Les objets qui peuvent rappeler leur passé féodal sont rejetés o bradés par d'habiles commerçants à des étrangers tout aussi ravis d'acheter que les autres de vendre.

Une vague de japonisme déferle en Europe.

 

 

 

Le mouvement Mingei

 

A la fin du XIXe siècle, certains artisans découvrent dans les yeux de l'Occident la dimensions "artistique" de leur travail et modernisent leurs productions. Ces créateurs souhaitent que leur travail soit reconnu sous forme d'expression traditionnelle et non comme le résultat d'un geste artisanal automatique. Mais c'est surtout la création du mouvement mingei, l' "art du peuple", qui va générer le renouveau de l'artisanat japonais. En 1925 en effet, trois potiers aujourd'hui célèbres, Yanagi Soêtsu, Kawai Kanjirô et Hamada Shôji, fondent ce mouvement pour le renouveau des arts populaires, valorisant uniquement la beauté de l'objet quotidien dans sa fonction utilitaire. Ils inventent le mot mingei pour l'opposer à celui de kogei désignant l'artisanat d'art. Pour eux, l'objet mingei se différencie également de celui de la cérémonie de thé dont les principes reposent sur esthétique. Outre la simplicité et le refus de l'ornementation, la beauté du mingei tient également à la qualité inhérente à sa fabrication, hérité de l’ère Edo. Cette volonté de finition dans les objets les plus ordinaires venait en particulier du bouddhisme qui considérait que le monde était appréhendé d'en bas, au niveau pratique, et que l'objet devait être intuitivement créé pour le bien de tous. Ce mouvement ne rassemble pas que des potiers ; il se développe dans des catégories extrêmement diverses qui touchent tous les types d'artisanat, de l'architecture à la sculpture de statuettes populaires. Ils rappellent également que nombres d'objets artisanaux ne peuvent être fabriqués de manière industrielle et ne peuvent naître que dans les mains expertes ds spécialistes. 

Durant la seconde guerre mondiale, des milliers d'artisans meurent au combat ou sous les bombardements ; beaucoup d'ateliers disparaissent. Après la guerre, le manque de matières premières et la pénurie d'argent obligent une grande partie des artisans survivants à se reconvertir dans d’autres métiers. En outre, l'artisanat traditionnel est sévèrement concurrencé par les produits modernes, apportés par l'armée d'occupation. Kyoto, épargnée par les bombardements, résiste et se fait un devoir de maintenir un artisanat de très haute qualité, fort de plus d'un millénaire d'expérience. En 1947, les deux écoles des beaux-arts comprennent chacune une importante section d'art industrielles valorisants l'artisanats du métal, de la laque, de la céramique, du textile et de la teinture. Dans les années qui suivent, beaucoup d’artisans contemporains passent dans ses filières universitaires, ce qui explique les nouvelles tendances de leurs création. Beaucoup d'entre elles n'ont plus d'utilité concrète en tant qu’ustensile "utilitaire", mais deviennent des "objets artistiques" en eux mêmes.

 

 II Le geste artisanal

 

Voler le savoir du maître

 

A l'origine, le terme shokunin (homme de métier) est surtout employé pour désigner les artisans du bâtiment avec comme figure iconique le charpentier. Ce n'est que plus tard qu'il est accordé à tout les fabricants de petits objets tels que les éventails ou le panier. Dans tout les cas, le mot se réfère autant à la création qu'à l'harmonie avec le matériau et l'expertise technique puisque sa racine shoku implique l'idée de savoir-faire et de devoir. 

Chez l'artisan professionnel, la réputation de l'atelier exige une transmission sans faille du savoir. Une sorte de devoir sacré, relayé fidèlement d'une génération à une autre. Lorsque le fils aîné est considéré incapable d'hériter du nom et de l'atelier de son père, le premier apprenti, jugé plus valable, est adopté pour maintenir la ligné artisanale. Outre les artisans les plus réputés, ce système de dynastie englobe pratiquement tous les genres artistiques et l'enseignement de la plupart des sport traditionnels. A leur tête, le maître exerce un pouvoir absolu, mais cette supériorité, faite de sévérité et d'exigence, est indispensable pour que l'élève s'identifie à lui et progresse dans la voie de l’excellence. Car le Maître ne domine pas l'élève ; il est la visualisation de son avenir. Il lui donne l'image d'une perfection accessible.

Généralement, les arts traditionnels ne se réfères a aucun manuel ni traité. La créativité japonaise passe surtout par la transmission pratique et non théorique des techniques. L’apprentissage se fait principalement de façon non verbale, la parole n'ayant qu'un rôle accessoire. L'artisans novice entre en religion en entrant dans l'atelier. La règle est simple : pour lui, les tâches les plus ingrates et les plus répétitives pour comprendre les matériaux dans leur intimité la plus profonde ; pour le maître, le travail noble de la matière. Pendant longtemps, souvent cinq années, l’apprenti n'a en charge que le ménage et le bien être du maître. Il passe les cinq années suivantes a s'adapter aux outils et à se confronter à la matière, n'abordant que des tâches subalternes. Les cinq années de perfectionnement l'obligent à voler le savoir du maître. En effet, le maître artisan n'enseigne jamais son art et se contente de le pratiquer. L'élève n'a alors qu'une solution : répéter le geste artisanal jusqu'à ce qu'il devienne aussi sûr que celui du maître. Il peut alors le quitter et monter son propre atelier, mais s'il reste, il est dans l'obligation de transmettre intact ce savoir et le perpétuer sans le modifier. Ce n'est qu'à la mort du maître qu'il peut enfin évoluer son art et risquer de présenter sa propre originalité artistique. C'est ainsi que les savoirs artisanaux anciens restent encore très vivants aujourd'hui et, si leurs formes s'adaptent parfois à la modernité, la démarche qui les met en oeuvre n'est guère éloignée de la tradition.

La dextérité des artisans, l'insistance qu'ils portent à la nature et aux matériaux sont deux des éléments essentiels de la technologie traditionnelle japonaise, mais certaines familles d'artisans ont en plus quelques secrets. Ces procédés particuliers,  l'aide desquels ils obtiennent, dans les décors de leurs œuvres, soit une patine spécifique sur le métal, un émail sur une poterie, un éclat particulier sur un laque, soit tout autre caractère extraordinaire justifiant leur réputation, étaient jalousement gardés. Ils sont toujours d'actualité et se perpétuent encore avec la plus grande fidélité. 

 

Les kata

 

La culture japonaise traditionnelle est une culture du geste et on ne peut réellement parler d'art japonais sans référence au mot kata, des formes prescrites qui œuvrent dans tout les arts comme des normes absolues. Dans le Japon de la tradition, la forme prime sur la substance ; inculquer ces formes fondamentales est plus important qu'enseigner la technique et ses applications. Beaucoup de gestes professionnels en sont issus.

Comme l'acteur de kabuki s'identifie au rôle par le biais du maquillage, un potier ne saurait commencer sa journée de travail sans avoir réalisé le kiku-no-mi, une motte de terre malaxée manuellement en forme de fleur de chrysanthème par une pression tournante de la main ( kiku signifie chrysanthème, mi dans le cas présent indique l'état, la nature ). chrysanthème.jpgVoici une variété de chrysanthème pour donner une idée du travail à réaliser.

Cette première empreinte de la main sur la matière brute, justifiée par le nécessaire assouplissement de la terre et l'évacuation des bulles d'air, ramène à l’étymologie de kata (forme originale faite en terre ), qui laisse bien vite entendre que le modelage peut devenir un modèle et une forme idéale. Forme établie comme matrice, le kata est une tension vers la perfection. Son observance devient l'objectif suprême qui conduit à l'accomplissement de la personnalité toute entière, "en harmonie avec les hommes aussi bien qu'avec la nature". Celui qui s'engage dans cette voie doit pratiquer de manière incessante pour acquérir la maîtrise de son art, mais il ne doit pas se contenter de la seule virtuosité technique. Il doit enrichir cette technique de son énergie spirituelle afin de pouvoir transmettre un idéal qui dépasse sa propre expérience puisqu'il n'est que le relais de connaissances élaborées pendant plusieurs générations. De fait, l'homme et la technique sont indissociablement liés. Ils se conjuguent pour former ce qu'on appelle le talent.

 

Les outils

 

Prolongement du corps humain, l'outil est naturellement de la plus grande importance pour l'artisan. Cette relation est d'autant plus forte qu'au Japon les gestes sont traditionnellement très codifiés. La forme d l'outil est déterminée non seulement pour son usage, mais aussi par des rituels qui lui sont attachés. L'outil est aussi le prolongement de l'esprit ; il intervient comme le médiateur entre l'artisan et la matière. Mais cette matière qu'il façonne est un matériau naturel qui appartient au sol sacré du Japon et, à ce titre, possède une parcelle de divin. Pour les adeptes du shinto, et beaucoup d'artisans le sont, l'outil est donc assimilable à un être doté d'une âme. Pour cette raison, on lui donne fréquemment des noms (exemple : dans D. Gray-Man, le nom du sabre du Yû Kanda est Mûgen qui signifie "6 illusions"); on peut aussi le baptiser momentanément, soit pendant la fabrication, soit simplement lors de la première utilisation. Il en est ainsi lors des rites de constructions en architecture. L'outil est à l'honneur lors d'une petite cérémonie consacrant sa première utilisation dans un nouveau chantier : le premier tracé du cordon encreur, la première mesure de l'équerre, la première entaille d'une arme blanche, etc. Chaque année pour le Nouvel An, les outils sont nettoyés et polis et on leur présente une offrande de gâteaux de riz. L'outil a droit également à des "funérailles" et à des services religieux lorsqu’il est hors d'usage. 

Chaque artisan façonne ses propres outils selon son goût, sa morphologie et les particularités de sa gestuelle. L'apprenti charpentier n'est pas autorise r à toucher un outil tant qu'on ne lui en a pas expliqué le sens car, s'il doit comprendre l'usage technique, il doit aussi pouvoir mesurer la relation entre son propre geste et le caractère du bois à travailler. C'est pour cette raison que les charpentiers réalisent eux-même la partie en bois ou en bambou de leurs outils et que les parties métalliques sont effectués sur leurs instructions par les forgerons. Cela démontre encore que, si au Japon le "sabre est l'âme du samouraï", l'outil est l'âme de l'artisan.

La plupart des outils datent du VIe siècle, époque de l'introduction de la civilisation chinoise, et sont destiné à travailler le bois. Ils évoluent avec le perfectionnement des techniques et surtout la japonisation des emprunts culturels au continent chinois. Ainsi, le trait le plus caractéristique est la manière dont les japonais utilisent la plupart des outils de coupe en les tirant vers eux au lieu de les pousser comme c'est l'habitude en Chine et en Occident. La position assise ou accroupie des artisans du bois ou du bambou justifie cette action, d'autant que les lames japonaises sont fines et risqueraient de se plier sous une pression trop forte. Au contraire, tirer vers soi assure un geste moins brutal et permet une finesse inégalée dans la découpe et le rabotage, mais aussi dans le domaine de la couture où c'est le tissu qu'on pousse sur l'aiguillon et non l'aiguille qui court sur le tissu.

Les artisans d'aujourd'hui ne répugnent pas à l'utilisation du moteur électrique dans certaines opérations de dégrossissage, mais pour la finition, ils ont le plus souvent recours aux outils traditionnels qu'ils aiment toujours utiliser.



21/02/2014
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